Pensées sur le Vénézuela

L’historique de l’instabilité politique au Vénézuela remonte à bien avant l’ère du président actuel, Nicolas Maduro. En effet, le Vénézuela a historiquement eu une industrie pétrolière productive, qui fut nationalisée dans les années 1970. La critique principale du mode économique du pays, et ce, depuis le début du 20e siècle, fut son manque de diversification, dans sa dépendance sur le pétrole. (Ce phénomène sera décrit plus loin dans le texte, lorsque la maladie hollandaise sera discutée.) (Smith, 2020).

Les années 1990 ont été particulièrement mouvementées, avec deux tentatives de coup d’état en 1992 par Hugo Chavez et ses collaborateurs, motivées notamment par la détérioration des conditions socioéconomiques (Mora et. Al, 2021). En 1998, Hugo Chavez, alors président du parti socialiste unifié du Vénézuela, un parti anticapitaliste et anti-impérialiste, est élu président du Vénézuela, avec le soutien d’une coalition de gauche, dont le parti communiste du Vénézuela (PCV), le mouvement vers le socialisme (MAS) et des membres des forces armées gauchistes insatisfaits avec l’organisation actuel. (Mora et Al. 2021).

Des grands changements constitutionnels furent ensuite poursuivis, dont le Mouvement de la Cinquième République, visant à fonder une nouvelle république. En 2001, Chavez radicalise son discours et trouve des alliés politiques avec d’autres acteurs dans des pays s’étant soulevés contre l’impérialisme, comme Cuba, le Nicaragua et le Brésil. Il instaure alors des programmes de financement pour des coopératives, plusieurs programmes sociaux, et l’introduction de contrôles de prix pour certaines industries (Mora et. Al, 2021, p.13,14). D’autres politiques de son gouvernement ont aussi inclus une réforme agraire. Le gouvernement de Chavez avait comme objectif important de financer l’industrie alimentaire à l’aide des recettes de l’exportation du pétrole. Plusieurs événements se succèdent, dont des problèmes avec la gestion des coopératives, et avec l’économie locale.

En 2012, le Vénézuela entre une période de ralentissement économique, et Chavez est réélu président de la République, mais décède quelques mois plus tard en 2013, donnant place à de nouvelles élections, ou Nicolas Maduro, nouveau chef du même parti que Chavez, est élu président. Des accusations de corruption au gouvernement et dans les industries d’État ont augmenté, ainsi que l’instabilité civile. (Mora et al, 2021). Une des raisons pouvant expliquer la grande contraction de l’économie vénézuélienne en 2013 était sa grande dépendance à l’industrie pétrolière, ressource dont le prix a dramatiquement chuté dans la même année. Plusieurs nomment cet événement comme un exemple de la maladie hollandaise (Dutch Disease en anglais), quand un pays excessivement dépendant sur une commodité exportée – ici le pétrole – qui a une montée rapide de valeur, suivie d’un énorme flux de devises étrangères et d’une hausse de la demande pour la devise locale, ‘tuant’ les autres exportations du pays maintenant dépendant sur cette ressource (le pétrole). (Corrales, 2013).

Ce passage de Clark illustre bien ce phénomène :

“The discovery of oil and the conversion to a petro-economy caused an influx of foreign exchange in the country, making food imports cheaper than domestic production and a resultant massive rural exodus.” (Clark, 2010).

En 2014, une chute des prix du pétrole dans le pétro-état exacerbe la crise économique, tandis que l’État manque de ressources pour financer ses dépenses. (Mora et al., 2021). La productivité baisse, et les indicateurs socio-économiques du pays chutent dramatiquement. En 2015, 33,1 % de la population vit sous le seuil de pauvreté (Banque Mondiale, 2024), alors que l’inflation atteint 154,7% (Mora et al., 2021). Ces conditions aggravées s’ajoutent à une crise en 2017 alors que des milliers de personnes quittent le pays. Ces événements s’enchainent jusqu’en 2018, ou l’inflation atteint 1 560 000% et la production réduit de 18% (Mora et al., 2021).

Le 20 mai 2018, des élections prennent place en pleine crise humanitaire, avec le plus bas taux de participation dans l’histoire du pays, soit 46%. Maduro est réélu avec 67,7% du vote. (Seelke, 2018). Plusieurs acteurs ont donc remis en question ces élections, bien que plusieurs élections américaines aient eu des participations de moins 50%, dont celles de 1996, avec 49,8% (TAPP, 2020).

Pour donner suite à ça, en 2019, plusieurs acteurs externes qui seront discutés dans la prochaine section entrent en jeu, dont les États-Unis et plusieurs États européens, et la montée d’un acteur interne, soutenu par ces acteurs externes, Juan Guaido. Guaido fut nommé ‘président par intérim’ du Vénézuela par l’assemblée Nationale, pendant la présidence de Maduro, jusqu’à 2023. Évidemment, étant un promoteur de politiques néolibérales, il fut reconnu par plus de 60 états, dont la France et les États-Unis.

En 2024, le 24 juillet, a lieu une élection, et Maduro est réélu avec 52% des votes. L’opposition se remobilise, et les acteurs opposés au régime continuent leurs efforts de changement de régime.

Plusieurs acteurs et facteurs entre en jeu, mais il est clair que mettre le blâme sur la vision socialiste et l’incompétence des acteurs interne ignore une panoplie de facteurs externes importants comme les sanctions et le contexte historique et économique dans lequel cette instabilité a pris place. (Elner, 2019).

Plusieurs acteurs externes exercent une influence dans le conflit, dont les États-Unis, et plusieurs pays du cœur impérial – principalement l’Union européenne, le fonds monétaire international (IMF), et les pays soutenant le gouvernement de Maduro, dont Cuba et la Chine. D’autres acteurs secondaires étant impacté par cette crise, notamment les dyades du Vénézuéla – la Colombie et le Brésil – et l’Organisation des États américains.

Voyons plus en profondeur comment ces acteurs se manifestent. D’abord, le rôle des États-Unis a été très important, d’abord en exacerbant la crise humanitaire, et ensuite en soutenant l’opposition au gouvernement Maduro. Depuis l'administration Obama – de 2008 à 2016, et encore plus fort sous l'administration Trump, qui tombait exactement lors du pic de la crise inflationniste du pays, les États-Unis ont imposé une série de sanctions économiques sévères contre le gouvernement de Nicolás Maduro. Ces sanctions visaient à affaiblir le régime de Maduro et à soutenir l'opposition dirigée par Juan Guaidó, faussement reconnue par les États-Unis comme le président légitime du Venezuela. (Smith, 2020) Quelques-unes de ces sanctions visant un changement de régime étaient notamment économiques, soit empêcher l’entreprise d’état vénézuélienne basée aux États-Unis, CITGO, de rapatrier des profits, empêcher l’achat d’obligations émises par l’État. (Ellner, 2019, p. 160) Ces sanctions ont constitué une sorte de guerre économique contre le pays, et s’ajoutaient aux sanctions déjà imposées par la précédente administration d’Obama, qui a bloqué les actifs de plusieurs Vénézuéliens en prétendant que leurs politiques portaient atteinte « aux processus ou aux institutions démocratiques » (Congressional Research Service, 2019, dans Ellner, 2019, p. 161). Pour donner suite à cet ordre, de nombreuses firmes américaines, dont des usines, se sont retirées du Vénézuela, expliquant en partie la contraction de leur économie.

De plus, il n’est pas surprenant de voir cette réaction de la part des États-Unis : la même trâlée de sanctions a été imposées à Cuba depuis les années 1960, et ont été largement contestées par les Nations Unies, avec un évident vote de véto à chaque fois de la part du géant américain du conseil de sécurité. Depuis 1945, le gouvernement américain a imposé des changements de régime, spécifiquement en Amérique latine, au Guatemala, au Nicaragua, à Cuba, à la République Dominicaine, l’Équateur, la Guyane, l’Argentine, la Bolivie, au Panama, à Grenade, au Chili et au Vénézuéla. (Fernandez, 2022) La plupart de ces régimes soutenaient un dictateur d’extrême-droite, simplement pour favoriser les intérêts néolibéraux des États-Unis. Des impacts humanitaires ont été substantiels dans tous les cas, et le Vénézuela n’en fait pas exception.

Un outil important des États-Unis dans leur guerre économique contre le Vénézuela est l’IMF (Fonds monétaire international). Une action illustrant l’impact de leurs décisions eu lieu en 2020, lorsque Maduro demanda un prêt de 5 millions de dollars pour garder les hôpitaux en opérations. L’IMF refusa la demande, prétendant que Maduro était illégitime. Cette même institution a immédiatement offert des fonds au parti d’opposition qui a retiré Hugo Chavez du pouvoir en 2002. (Ermersberger, 2020). L’IMF a un long historique dans les pays de la périphérie, et a sa place comme acteur géopolitique externe négatif dans ces péripéties. L’Union européenne a adopté une position similaire, en imposant des sanctions ciblées contre des membres du gouvernement de Maduro, incluant un embargo sur les armes ainsi que des gels d’actifs (Conseil de l’Union Européenne, 2017).

Pendant ce temps, Cuba a été un allié du Venezuela, fournissant une assistance médicale et sécuritaire en échange de pétrole vénézuélien. Cet échange fut réglé entre Fidel Castro et Hugo Chavez en 2002. (Fraser et al., 2016). La Chine a également joué un rôle crucial en soutenant le Venezuela par des prêts et des investissements massifs. (Wang et Li, 2016) D'autres pays d'Amérique latine, comme le Brésil et la Colombie, ont également été impliqués, souvent en soutenant l'opposition et en accueillant des réfugiés vénézuéliens. Les organisations régionales comme l'Organisation des États américains (OEA) ont également joué un rôle en dénonçant les violations des droits de l'homme et en appelant à un changement de régime.

Finalement, cette crise est le résultat d'une combinaison de facteurs historiques aggravants, et de nombreux acteurs. Historiquement, la dépendance excessive du pays à l'égard de l'industrie pétrolière, la fameuse maladie hollandaise, l’a rendu son économie vulnérable aux fluctuations des prix du pétrole. Les politiques de réforme agraire et de redistribution des richesses sous Hugo Chávez ont d’un côté apporté des changements significatifs, mais ont également été malmenés par de la corruption, et beaucoup de problèmes résultants des sanctions économiques américaines. De leur côté, les acteurs externes ont joué des rôles déterminants dans la crise, soit les sanctions américaines visant à affaiblir le régime de Maduro, tandis que les pays non-alignées, dont la Chine, ont offert un soutien économique et politique, mais aussi humanitaire dans le cas de Cuba. Le futur du Vénézuela est toujours incertain, et la récente réélection de Maduro ne semble pas inspirer confiance aux États-Unis.


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